Interview exclusive : Kara
Cet été, les éditions Soleil ont édité le deuxième album de Kara : Le miroir des Alices. Ce premier tome pose les bases d’un monde qui s’annonce riche et fascinant. Blam vous propose de découvrir l’interview de son auteur, une occasion pour ceux qui ont aimé d’en savoir plus sur la série et pour les autres de découvrir ce qui sera sûrement un maillon important de la collection Soleil Levant.





ODIN: La première question est un grand classique mais nous permettra à tous de vous connaître un peu mieux : Pouvez-vous nous raconter votre parcours jusqu’à la sortie du miroir des alices ?
KARA: Holà mon bon monsieur, mon parcours est comme la musique : classique ! Non sans rire j’ai un parcours très académique. Depuis tout gamin je crayonne par-ci par-là. Alors forcément j’ai finit par atterrir dans une école de dessin dés ma classe de seconde jusqu’en terminale. Avec mon diplôme de dessinateur maquettiste en poche au début des années 90, j’ai ensuite bifurqué sur la pub avec un BTS en espace de communication. Ensuite j’ai fait la section Story Board à l’école des Gobelins (Paris 13ème). C’est là que j’ai commencé à vouer une véritable passion pour le dessin de décors. Alors qu’avant, je ne supportais pas de faire un simple mur de briques, allez comprendre... Et ensuite, la grande aventure a commencé ! Enfin petit à petit...

J’ai commencé à faire du dessin en freelance avec divers travaux pour des revues, des affiches de spectacles ou des couvertures de bouquins. Parfois je faisais des petits boulots comme de la téléphonie (il faut avoir un moral d’acier pour bosser là dedans) ou vendeur dans une librairie de mangas ! Puis mon chemin a croisé celui de Jack Manini, le talentueux dessinateur de la série Mycroft et Estelle. Il m’a appris des tas de choses que cela soit d’un point de vue narratif que graphique. Je ne pense pas exagérer en affirmant que j’ai plus appris avec lui en 3 mois qu’en 10 ans seul ! Et encore…C’est à ce moment là que j’ai réellement commencé à m’ouvrir aux différents types de BD existant au monde. Je me suis remémoré mes cours d’histoire de l’art, je me suis « forcé » à lire tout ce qui me tombait sous la main concernant l’architecture orientale et asiatique, l’histoire de la peinture occidentale, etc... C’est de ce joyeux capharnaüm que j’ai réussi (enfin j’espère) à créer des mondes les plus riches possibles ne serait-ce que d’un point de vue visuel.

Ensuite, j’ai signé chez Pointe Noire, le premier véritable éditeur à m’avoir donné ma chance en me laissant faire mon premier album comme je l’entendais, à savoir Gabrielle. Quitte à faire une seule BD dans ma vie, autant que ce soit un « bébé » issu à 100% de moi ! 3 ans furent nécessaires à l’achèvement de ce projet. Le succès fut très honorable avec près de 7000 exemplaires vendus (ce qui est pas trop mal pour un débutant ^0^). Peu de temps après la sortie de Gabrielle, je signais chez Soleil pour une série dont le premier tome est Le Miroir des Alices, L’ennemie qui est en moi. Là encore, j’ai eu la chance que l’on me donne à nouveau carte blanche pour ce projet. Mais bon, il faut aussi garder en tête la responsabilité qui en découle, car TOUT repose sur mes épaules dans ce nouveau projet !

ODIN: Dans « le Miroir des Alices » justement. Alice, Carol, le lapin, les horloges... Toutes ces références directes au roman de Carroll ont-elles une importance au niveau du déroulement du récit ou est-ce juste un clin d’œil à une œuvre que vous aimez ?
KARA: Un peu des deux. En fait, Je n’ai fait que reprendre certains éléments de l’univers d’Alice aux Pays des Merveilles pour construire mon propre univers. Mais le point de départ véritable de mon histoire se situe surtout par rapport à un téléfilm que j’ai vu il y à de cela quelques années et qui reprenait (apparemment) la trame d’Alice au travers du Miroir, la suite d’Alice au Pays des Merveilles. Ce téléfilm était très sympa sans être exceptionnel. Mais allez savoir pourquoi, cela a fait tilt dans ma tête. Je me revois encore me promenant dans la rue en mettant en place en quelques minutes ce qui allait devenir la trame principale du Miroir des Alices ! D’ailleurs, si vous avez la chance de voir ce fameux téléfilm, il n’y à strictement plus aucuns rapports entre lui et ma BD (hormis le nom de l’héroïne !).
Ce qui est le plus amusant, c’est que l’année 2002 fut pour moi l’année Alice au Pays des Merveilles ! Chez moi je jouais au jeu vidéo American Mc Gee’s Alice (une version dark-gothique du conte original) et durant l’été, j’ai fait l’affiche d’une énorme comédie musicale sur le même thème (avec affichage dans le métro parisien) ! Y’à des signes qui ne trompent pas...

ODIN: Le miroir des alices est paru chez Soleil dans la collection Soleil Levant. En quoi consiste-elle ?
KARA: Le directeur de cette collection, Jean Wacquet, serait plus à même de vous répondre. Mais je vais essayer de vous résumer le concept. En gros il s’agit de réunir tout un panel d’auteurs qui ont une influence aussi bien artistique que scénaristique issu soit des mangas ou des comics. C’est en partie grâce à cela que j’ai eu pleine liberté pour mon projet. En effet, mon éditeur me donna carte blanche pour la raison suivante : Mon influence ne se limite pas qu’au graphisme, mais aussi au niveau de l’esprit, de la façon d’aborder un univers, mes personnages, l’écriture même d’une histoire. Donc me donner par exemple un scénariste externe à mes influences aurait pu ne pas coller.Ainsi, mon éditeur m’a laissé faire ma propre cuisine ! Joie !

ODIN: Comment s’est passé l’intégration de l’album dans cette collection ? Avez-vous modifié votre style narratif ou graphique pour cadrer avec ses critères ?
KARA: Pas vraiment ! Je le redis, j’avais carte blanche ! Mais il m’a semblé amusant de reprendre le thème favori de mon éditeur, à savoir l’héroïc fantasy, et de le sortir des sentiers battus propre au genre. Ainsi, dans mon histoire, il n’y a pas de méchants, ni de morts et (presque) aucunes armes ! Bon évidement, il y a des belles filles. Il y a un minimum syndical à respecter quand même ! Et il y a plus désagréable pour un mec que de dessiner de jolies elfes, non ?
Mais le plus gros défi se situa au niveau du scénario. Il n’est pas banal (à ma connaissance) de croiser dans une BD d’héroïc fantasy de la sociologie par exemple. A ce niveau là, je pense que les mangas et l’animation nippone m’ont beaucoup aidés. Les japonais sont capables de prendre un thème ultra codifié comme les histoires de robots géants par exemple et de le transformer en quelque chose de totalement inattendu ! Pour moi, l’exemple le plus représentatif est la série TV Neon Genesis Evangelion. Cela démarre comme une banale série TV avec des méchants aliens à buter, et puis au fur et à mesure, on rentre de plus en plus profondément dans la psychologie des personnages jusqu’à complètement laisser de côté le scénario original ! Ceux qui ont vu la série savent de quoi je parle mais chut : Laissons la surprise aux profanes qui auraient un jour l’envie de tenter l’expérience Evangelion (prévenez votre psychologue, relisez tout Freud, et prenez cotre carnet de notes ! Croyez-moi, je n’exagère pas !)

ODIN: Vous êtes ce qu’on peut appeler un auteur complet. Pour le miroir des alices, vous signez le dessin, le scénario et les couleurs. Quelles sont les techniques qui ont été utilisées pour ce premier tome ?
KARA: Il n’y à pas de méthodes particulières… A part peut-être que dans ma BD, il n’y a pas une seule goutte d’encre ! Tout « l’encrage » a été fait au crayon et au porte-mine. Cela me permet de garder le plus possible la pêche des croquis originaux. Dans le prochain album, « l’encrage » sera encore plus fin et le nombre de détails par planches sera (normalement) plus élevé que dans le premier. Pour ce qui de la couleur, la principale difficulté a été d’éviter au maximum de faire des teintes trop « informatiques », soit trop flashy, soit grises métallisées. Pour ce qui est du reste au niveau graphisme, c’est un de secret de fabrication !
Pour ce qui est de l’écriture, si les grandes lignes du scénario sont définies au départ, j’écris toujours mes dialogues au fur et à mesure des pages que je dessine. C’est un exercice périlleux mais avec tous les sujets de réflexions que je m’impose tout au long de mon récit, plus j’avance et plus je réfléchis, j’analyse, je me documente. Il arrive souvent que des scènes entières soient écrites au dernier moment car avant, il m’a fallut cogiter pendant pas mal de temps avant de trouver LA bonne réplique au bon endroit. Il se passe ainsi plusieurs mois entre la conception d’une scène et le moment ou je dois enfin la dessiner. Qui sait si durant tout ce temps, mon point de vue abordé par cette scène n’a pas changé ? A ce niveau là, ce n’est plus un problème de mise en scène, mais un véritable travail de fond sur ce que je veux exprimer ou transmettre émotionnellement...

ODIN: Vous êtes un Bdvore vous-même ? Quels auteurs appréciez-vous particulièrement ?
KARA: Compulsez le dictionnaire de la BD, ce sera plus rapide que de vous donner ma liste ! Non sans rire, tout dépend du moment présent. Le truc est d’essayer d’avoir un panel le plus large possible ! En gros, je me moque de savoir quelle est la nationalité d’une œuvre, si ça me plaît, je prends !
Des titres quand même ?
MMMMMMMMMM...
Bon alors côté USA je n’ai pas grand monde qui me titille. Adam Warren (BD de Dirty Pair), Norman Rockwell (THE illustrateur made in ISA), Berni Whrightson, et quelques autres auteurs que j’aime bien à l’occasion.
Côté « vieille » Europe : les grands classiques indispensables comme Hergé et Bob de Moor. Plus récemment, Claire Wendling, Barbucci/Canepa, etc…
Côté Japon, alors là ça se complique ! Les auteurs qui m’inspirent sont parfois encore inconnus en France. Par exemple, Sei Itoh avec sa série Monster Collection (a chaque fois que je montre ses bouquins à des copains, je dois ramasser les mâchoires qui tombent, c’est lassant…). Il y à aussi Kunihiko Tanaka (certains fans de mangas ne le connaissent que par son travail sur le jeu Xenosaga). Takaharu Matsumoto plus connu en France pour sa BD Agartha. Bon je vais arrêter la pour le manga…
Certains cyniques diront que je privilégie la BD nippone, mais je signale au passage que je suis rédacteur-pigiste manga pour le magazine Bodoï (et accessoirement pour Animeland pour l’animation). Résultat, je dois lire environ 80% des mangas qui sortent en France !

Mais actuellement, je reviens à des inspirations plus classiques. Je me suis plongé à nouveau dans la peinture romantique française avec des peintres méconnus comme Caspar David Friedrich… Et si vous voulez savoir quelles étaient mes « lectures de chevet » lors de la création du Miroir des Alices, c’est simple, tout est dans la BD ! Allez jeter un œil dans les Archives Originelles, et vous verrez que nombre de bouquins portent des titres faisant référence à mes sources d’inspiration ! Ce qui est plutôt marrant quand on y pense. Les Archives Originelles sont censées contenir les documents qui ont servi à la construction de cet univers virtuel, mais en fait, elles contiennent les documents qui M’ONT servi à créer ma BD. Ca c’est du clin d’œil, non ?


ODIN: Que pensez-vous du statut actuel de la BD ? Malgré des ventes très honorables et des festivals qui poussent un peu partout, elle semble toujours souffrir de ce statut de livre pour enfants et ne pas avoir le respect qu’elle mérite.
KARA: Ah lalalala, l’éternel débat… C’est un peu pareil pour les mangas en France vous savez... Le problème a plusieurs aspects. Si déjà les adultes pouvaient retirer de leur tête que « gamin » n’est pas forcément synonyme de « crétin », on fera un grand pas en avant !
Autre aspect du problème, celui-ci historique (attention, cette théorie n’engage que moi...). Jusqu’au début des années 70, la BD était considérée comme une sous culture abrutissante. Des auteurs se sont rebiffés et ont clamé haut et fort que la BD pouvait être un art à part entière. Fin des années 80, on a vu fleurir nombre de BD pour adulte (dans le sens mature du terme, et non pas adulte=cul). Génial, la BD avait gagné ses lettres de noblesses... mais avec un revers de la médaille assez inattendu ! Début des années 90, la BD se portait mal : d’un côté on avait des BD pour adulte parfois très intello et limite élitiste (il en faut…) et de l’autre, de la BD jeunesse avec de grands classiques comme Tintin ou Asterix. Et pour les ados ??? QUEDAL ! Comment voulez-vous qu’un ado puisse s’identifier à des héros qui ne leur parlent pas ? Un ado ce n’est pas forcément un faux « Djeunz » avec un skate et la casquette à l’envers.
C’est à ce moment la que le manga est arrivé. Grâce à lui, la BD populaire est revenu en force ! Mais certains l’ont vu d’un mauvais œil : »Comment ??? nous nous sommes battus pendant des années pour réhabiliter l’image de la BD, et voila que ces « mangâsses »foutent tout en l’air ! » « Et pis d’abord : Populaire c’est vulgaire » ! etc... Eh non, la littérature populaire et intelligente cela existe aussi et pas qu’au Japon, messieurs ! Eugène Sue, Balzac ou encore Jules Vernes n’écrivaient pas pour les élites de la société que je sache, mais pour le grand public, n’en déplaise à certains…
Le problème s’est aussi posé avec les mangas, comment voulez-vous convaincre des profanes qu’il existe des « mangas » matures comme Jin-Roh ou Ghost in the Shell, avec le phénomène Pokemon à côté ? (même si personnellement, j’avoue adorer certains films de Pokémon, si, si !).
Le problème se résume donc en un seul mot : AMALGAME ! Comme disait je crois le grand peintre Kandinsky : « l’homme à tord de croire qu’en mettant un nom sur chaque chose, il parviendra à dominer l’univers ». En gros, pour se rassurer, les gens veulent tout cataloguer, tout classifier quittes à tout simplifier ! A partir de là...

ODIN: Vous avez d’autres projets en cours ? Une collaboration est-elle envisageable dans le futur ou bien Kara est-il un travailleur solitaire ?
KARA: « I’M POOOOOOR LONESOME COMICBOY…. »
Hum... Pour l’instant, je travaille sur le volume 2 du Miroir des Alices. Dans le futur, j’ai des tas de projets, mais il faut être pratique et parer au plus urgent. Quant à travailler avec un scénariste ? Pourquoi pas, j’ai déjà tenté le coup une fois avec Jack Manini. Tant que le courant passe, moi je suis partant… De plus, je montre souvent mes dessins et mes scénarios à des copains (dessinateurs ou non), et parfois je suis leurs conseils. Et croyez-moi, certains ne me font pas de cadeaux et je dois me ramasser à la petite cuillère après m’être fait laminer par certains ! Mais bon, cela forge l’humilité…
Mais pour le moment, j’ai en tête la suite (et fin) de ma première BD : Gabrielle (ré édité chez Soleil depuis). Et j’aimerais un jour réaliser un petit court métrage d’animation d’une minute ou deux, qui pourrait être en même temps un pilote pour une série TV ou un film. Mais bon, on a le temps d’ici là !

ODIN: Kara, BLAM! vous remercie d’avoir accepté de répondre à cette interview.



Interview réalisée par Odin pour BLAM! (novembre 2003)


Pour plus d'infos...
  La chronique de l'album "Le miroir des Alices".
  Discutons de tout ça sur notre forum.


« Retour à la homepage
• Notre Forum
• La bibliothèque
• Invitez un ami
• Web-découvertes
• Petit lexique

L’ennemie qui est en moi
Kara / Kara
Le miroir des Alices 1
Pour d'autres idées commentées, visitez
» La Bibliothèque.

© BLAM! www.blam.be 1997-2003 crédits et infos légales