Interview exclusive : Alex Nikolavitch
Scénariste de "Central Zero" paru chez Soleil et prochainement, du premier album de Spawn made in France, Alex Nikolavitch a bien gentiment accepté de répondre à nos questions.

Inévitable question avant de commencer, peux-tu rapidement présenter et nous raconter en quelques mots ton parcours ? La passion de l’écriture est-elle venue d’un lointain passé, au grand dam des parents, soucieux de ne pas avoir un fils avocat ?
ALEX NIKOLAVICTH: Mon parcours ? C'est ce qu'on appelle un système chaotique. Mais ma première BD, je l'ai dessinée à l'age de cinq ans sur un calepin de bistrot que j'avais chipé à ma tante (qui tient un bistrot tout à fais sympa sur la côte Dalmate, on y mange bien, mais le vin est assez quelconque, ce qui nous éloigne de notre sujet). J'ai toujours adoré ça, en tout cas, mais avant de remplir mon frigo avec des trucs liés à la BD, il a fallu que je fasse des tas de boulots aberrants. Mais qui se sont rapprochés graduellement de la BD, vu que je fais énormément de traductions de comics, des scénarios dans des pockets genre Zembla ou Mustang, etc...

Je sais qu’il n’y a pas que la bande dessinée, tu as par exemple écrit des nouvelles S-F. Est-ce que la BD a été tout de suite un moteur, une envie ou est-ce tout simplement l’écriture au sens plus large du terme qui t’intéresse ? Qu’est-ce qui t’attire dans la bande dessinée ?
A.N.: J'adore écrire, c'est la base : nouvelles, essais, BDs, après ce n'est qu'une question d'adéquation entre ce qu'on a à dire et la manière dont on le dit. Mais j'ai une affinité forte avec la BD, liée sans doute au fait qu'elle tient sur la juxtaposition d'informations écrites (dialogues) et visuelles (dessins) qui permettent pas mal de subtilités et de jeux formels : le dessin modifie la manière dont on percevra le dialogue. Le même dialogue plaqué sur deux dessins différents n'aura pas forcément le même sens. J'adore jouer avec ce genre de notions.

Justement, sur cette différence de sens entre les dessins, as-tu déjà été déçu, supris ou autre en voyant comment le dessinateur interprétait ton texte ? (genre « ha bein crotte, je voyais pas ça du tout comme ça »).
A.N.: Il m'est très souvent arrivé d'être surpris. Généralement dans le bon sens. La plupart des mauvaises surprises venaient du fait que je n'avais pas été assez précis dans le scénar, par exemple en ne soulignant pas suffisament un élément qui était important pour moi, mais que le dessinateur n'avait pas compris, ou pas compris de la même façon que moi.

D’où est parti Central Zero ? Tu ne connaissais apparemment pas Toni Fesjula avant de partir dans l’aventure.
A.N.: C'est parti de diverses envies, il y a bien longtemps. Des choses pas bien vécues à titre personnel, des images mentales de mondes énormes, et un travail sur la notion d'intégrité, de mensonge, de trahison. Plus une réflexion sur la nature du langage, comme je disais plus haut. Inutile de dire que pour un scénariste débutant, c'est vite indémerdable. Le projet a d'ailleurs été refusé plusieurs fois par le passé, parce que j'avais tenté de maquiller un peu ce fond-là pour avoir un truc plus "glamour", et qu'en plus ce n'était absolument pas maîtrisé. Ce n'est qu'il y a quelques années que soudain ça a fait tilt, et que les éléments sont tombés dans le bon ordre. Et quand j'ai rencontré Toni, j'ai senti qu'il serait parfait pour traiter cet univers-là. Il a l'esprit baroque qui convient.

La mise en couleur du premier tome est assez particulière, presque monochrome. Comment s’est imposé ce choix et pour quelle(s) raison(s) ?
A.N.: D'un commun accord, partant au départ sur un certain nombre de rejets formels. Ni Toni ni moi n'étions intéressés par un rendu propret, informatique, techno-tendance comme on en voit beaucoup en ce moment (mon côté mauvaise langue dira : un rendu "c'est trop cool photoshop, je vais devenir coloriste alors que j'ai jamais touché un pinceau de ma vie"). Nous voulions une ambiance un peu lourde. Donc on s'est décidé sur une "palette de base" et je l'ai laissé faire son truc (il habite quand même à 850 bornes de chez moi, et donc je me vois mal être sur son dos). Du coup j'ai aussi eu de très bonnes surprises (les éclairs verdâtres qui courent le long de la cathédrale à la fin, je ne les voyais pas comme ça quand j'avais vu la page en noir et blanc, et il en a fait quelque chose de vraiment étrange, d'un peu glauque, de pas normal. Parfait, quoi). Pour info, et pour devancer une question qu'on nous a beaucoup posé : non, tout est en tradi. Il n'y a pas un pet de photoshop dans cette mise en couleurs, c'est que de l'acrylique.

Sous la pression du M.L.F., je me dois de te poser cette question. Il n’y a qu’une seule femme dans l’album et elle est évincée sans ménagement de l’aventure par les héros. Qu’est-ce que c’est que cette bande-dessinée de machos ?!?
A.N.: Joker. Son rôle a été réduit en cours de route suite à un "embarras logistique" sans grand rapport avec le scénario en lui même. Mais ce que ce personnage a perdu en "temps de présence", elle l'a compensé par le rôle clé qu'elle tient néanmoins. Le fait que l'histoire se déroule principalement dans un bagne et dans un monastère n'a pas aidé non plus à injecter des personnages féminins. Mais elle prendra de l'importance dans le tome deux, et elle ne sera plus seule... Et puis Toni et moi on est deux balkaniques, donc bon, oui, sans doute un peu machos quelque part.

L’univers graphique est très personnel. Les décors sont très beaux, le moins que l’ont puisse dire, c’est que Fejzula n’est pas un manchot. On pourrait y voir des influences de Blade Runner ou d’Alien (...). Est-ce que cet univers a été défini principalement par Fejzula ou y a-t-il une volonté du scénariste à montrer ce mélange classico-futuriste ?
A.N.: Ce fut là aussi le résultat d'une démarche commune. Nous voulions un univers futuriste, donc codé comme tel (vaisseaux, labos, voitures volantes, fumées) mais qui soit décadent, sur le retour, au point mort. D'où cette culture tournée vers le passé, vers les choses mortes, vers des formes désuètes qui ont étouffé le reste… Mais notre culture visuelle a tous deux a aidé aussi. Forcément. Nous avons adoré les mêmes films (globalement. Parce qu'on s'entre déchire quand même à propos de 2001) et ça se retrouve forcément dans notre travail.

L’avantage c’est que les possibilités de scénarios sont pratiquement illimitées. Comment appréhendes-tu le dessin ? Le découpage est-il déjà élaboré lorsqu’il arrive chez Fejzula ? Ou fini le travail de scénariste et où commence celui du dessinateur ?
A.N.: Je fournis un découpage texte, c'est à dire quelque chose d'écrit case par case, un squelette assez sec avec des descriptifs et des dialogues. Sachant que Toni va sans doute rebidouiller derrière pour des raisons de construction graphique. Puis je repasse encore dessus pour demander des modifications (j'ai dû lui demander de refaire deux cases sur tout l'album, c'est dire si je suis dictatorial) et pour recaler les dialogues par rapport à ses modifications ou aux questions qu'il aura pu soulever dans l'intervalle.

Passons à un autre genre d’univers, le projet de Spawn « made in France » est en cours et sur le point de sortir, comment s’est passé la collaboration avec les Etats-Unis et Todd Mac Farlane en particulier ? Question BD, le public américain n’étant pas le même que l’européen, il a sans doute fallu faire des compromis ? Quelle marge de manœuvre vous a t-on laissée à toi et Aleksi Briclot ?
A.N.: Ça s'est passé comme ça, grosso modo :
Todd McFarlane : Bon, les enfants, le deal est simple. Je vous prête mon jouet, mais vous ne me le cassez pas. Ça vous va ?
Niko et Briclot : Sans déconner ? Trop cool !

Plus sérieusement, on a beaucoup de liberté de la part des américains, un peu moins de celle des intervenants français, à savoir les éditions Semic. Ils m'ont fourni un résumé rapide de l'histoire, que mon travail est de développer (avec une marge de manœuvre quand même) puis on rediscute point par point le tout au fur et à mesure qu'on avance. C'est un peut lourd comme procédure, mais bon, c'est la rançon du fait de faire un vrai comic book de super héros avec les ricains.
Bordel, quoi : je fais un VRAI comic book de super héros ! Qui devrait être publié en Amérique ! Rhaaaaaaaaa...

Je comprends l’enthousiasme de travailler sur des comics US avec la diffusion que cela implique ! Est-ce que c’est le genre d’expérience que tu referais ? Pourquoi ?
A.N.: C'est le genre d'offre qui se refuse difficilement. Bon, c'est vrai qu'on m'aurait donné "Barbie Fashion" à écrire, j'aurais peut-être dit non (ou alors j'aurais pourri le truc à coup de mauvais esprit et j'aurais été attaqué ensuite par Mattel, ces gens là ne rigolent pas). Mais pour moi il est en tout cas plus facile d'écrire Spawn, une série que j'aime bien, mais qui ne m'a jamais cloué à mon fauteuil que, mettons, Daredevil, une série que je suis souvent avec passion, et sur laquelle les plus grands ont produit des histoires fabuleuses. Je me sens en mesure de faire jeu égal avec les scénaristes habituels de Spawn, pas avec Frank Miller quand il a fait l'épisode de Roulette Russe ou Born Again. Sur Spawn, je suis certain de pouvoir faire quelque chose d'intéressant (quitte à travailler surtout sur l'ambiance en gardant le personnage relativement en arrière plan), parce que je peux capitaliser sur certains manques que je perçois dans la série. Sur Daredevil ou les X-Men, des séries que je lis depuis des lustres, je serais un peu prisonnier de leur glorieux passé.

Une date de sortie prévue pour ce Spawn?
A.N.: Aux US, pas encore. En France, en Juin et Août, respectivement pour les premier et second épisode.

Quels ont été tes dernières lectures ? Aussi bien en BD qu’en littérature classique...
A.N.: Plein de trucs. Tout dernièrement, "Putain c'est la guerre", un comic strip ultime trash mais très bien fichu, "Gong" de Laurent Astier, un polar noir comme j'aime, des tas de comics, pas mal de romans de SF (je me suis remis à la SF soviétique, j'adore), et pas mal de bouquins techniques : biologie, métallurgie, astrophysique, tout ce qui pourra nourrir mes histoires.

Parlons un peu futur, proche ou lointain. Quels sont tes projets en cours ? Encore des albums chez Soleil, ou un projet de série avec un autre auteur en particulier ?
A.N.: Ben la suite de Central Zéro, déjà. Plus deux trois projets qui avancent tranquillement : un bouquin aux éditions La Cafetière (où j'avais déjà publié Alcheringa), une adaptation en BD de mon cycle de nouvelles concernant Le Bateleur, peut-être aussi un truc en Soleil Levant, avec des martiens et un auteur espagnol mais il est encore un peu tôt pour en parler, et d'autres histoires qui avancent gentiment. Plus un roman de SF sur lequel je bosse, mais lentement.

Alex, BLAM! te remercie encore pour cette entrevue. Rien à rajouter à ton dossier ?
A.N.: "Tout ce que je dirai pourra être retenu contre moi" ? Hmmm... Je passe.

Interview réalisée par ADN et Odin pour BLAM! (mars 2003)


Pour plus d'infos...
  La chronique de l'album "Central Zero".
  Discutons de tout ça sur notre forum.
  Le site perso d'Alex Nikolavitch.
  Infos officielles à propos du French Spawn "Simonie".


« Retour à la homepage
• Notre Forum
• La bibliothèque
• Invitez un ami
• Web-découvertes
• Petit lexique

Les péchés du père
Toni Fejzula / Alex Nikolavitch
Central Zéro 1
Pour d'autres idées commentées, visitez
» La Bibliothèque.

© BLAM! www.blam.be 1997-2003 crédits et infos légales